Bastien Branchu, la physique des contradictions

« J’ai toujours voulu enseigner, depuis tout petit. » Bastien Branchu, 25 ans, a le ton posé, les mots précis. Professeur de physique-chimie en Haute-Vienne, il incarne une génération de jeunes enseignants qui, malgré les défis, continue de croire en la valeur de l’éducation. Né dans un village rural près de Limoges, il est l’exemple parfait de l’enfant du terroir devenu professeur, non par hasard, mais par conviction.

Nous nous rencontrons dans un restaurant élégant du 16ᵉ arrondissement de Paris, un lieu où le charme de l’ancien côtoie une modernité discrète. L’atmosphère y est feutrée, baignée par une lumière tamisée qui reflète doucement sur les tables en bois verni et les verres finement ciselés. Les murmures des conversations alentour se mêlent au cliquetis des couverts, créant une ambiance intime et conviviale.

Il arrive, ponctuel, et se dirige vers ma table avec une démarche assurée mais décontractée. Lorsqu’il s’assoit face à moi, son sourire chaleureux illumine immédiatement son visage, dissipant toute tension initiale. C’est un homme de taille moyenne, d’apparence simple mais soignée, qui ne cherche visiblement pas à impressionner par des artifices. Son pull gris, doux et légèrement ajusté, contraste agréablement avec l’image stéréotypée du professeur de physique que l’on imagine parfois austère ou réservé.

Loin de là, son regard pétillant et sa posture détendue trahissent une personnalité accessible et curieuse, prête à échanger et à partager. Dès les premières minutes, il émane de lui une simplicité désarmante et une authenticité rare qui mettent rapidement à l’aise.

Une trajectoire sinueuse vers l’enseignement

Après un bac scientifique dans un lycée rural de Creuse, Bastien suit une licence de physique-chimie, qu’il complète par une troisième année consacrée exclusivement à la physique. S’ensuit un détour par un master de recherche en physique des particules à Lyon. Mais rapidement, il réalise que la recherche n’est pas pour lui. « Je me suis rendu compte que ce n’était pas la vie que je voulais : trop d’informatique, trop de mobilité internationale. » Retour à la case départ, dans son académie d’origine, où il devient professeur contractuel. Cette expérience lui ouvre les yeux sur la réalité du métier et lui donne la certitude qu’il a trouvé sa voie.

Entre rêves et réalité

Bastien admet sans détour que l’enseignement n’a rien d’idyllique. « Aujourd’hui, ma plus grande difficulté, c’est de jongler entre deux établissements très différents. » Dans l’un, les élèves viennent de familles aisées, l’autre est en réseau d’éducation prioritaire (REP). Entre ces deux mondes, il doit s’adapter, gérer des règles parfois opposées comme la notation, autorisée dans l’un, bannie dans l’autre et faire face à des défis pédagogiques liés à des contextes sociaux et linguistiques variés.

Le flou des programmes ajoute une couche supplémentaire de complexité. « Les contenus en collège sont si vagues qu’on doit presque tout inventer. Cela complique la coordination entre collègues et rend difficile la cohérence des apprentissages. » Pourtant, Bastien ne baisse pas les bras, porté par l’envie de transmettre.

Des satisfactions malgré tout

Malgré les obstacles, Bastien trouve de nombreuses raisons de sourire. « J’aime le rythme du métier, l’absence de routine. Chaque mois est différent. » Il savoure les moments de complicité avec ses collègues et apprécie ces instants où la classe prend vie. « Ce qui me plaît le plus, c’est la vie au collège, les échanges avec les élèves et les collègues. C’est un microcosme unique. »

Puis d’un seul coup il s’arrête, commence à rigoler et rougir de honte « J’ai pas parlé des élèves. C’est horrible ! Ce que j’aime aussi, c’est bien sûr les élèves. » Après un léger fou rire il reprend la discusion et pour se justifier, amène un argument sur la table : « Après, dans ma discipline, je vois les élèves assez peu. Une heure, une heure et demie, chaque élève par semaine. Tu t’attaches pas. On ne forge pas forcément des liens aussi développés qu’un prof de maths ou de français. Mais on a l’occasion de voir vraiment beaucoup de jeunes dans la semaine, ce qui est rafraîchissant. »

Les ombres du métier

Bastien est lucide sur les problèmes systémiques de l’éducation nationale. L’inclusion scolaire, malgré ses intentions louables, est mal accompagnée, selon lui. « On inclut des élèves sans les moyens nécessaires. Résultat, on n’aide correctement ni eux, ni les autres. » Il critique aussi l’usage abusif du numérique, notamment les plateformes comme Pronote, qui brouillent la frontière entre vie professionnelle et personnelle. « Les parents peuvent nous écrire à toute heure, parfois de manière brutale. Cela pèse sur la relation avec eux. »

Le manque de reconnaissance est un autre point noir. « Le gel du point d’indice et l’inflation ont dégradé notre pouvoir d’achat. Les primes en début de carrière aident, mais à long terme, on stagne. »

Une vocation fragile

Lorsqu’on lui demande s’il conseille ce métier, Bastien hésite. « C’est un métier exigeant, parfois dévastateur si on ne l’exerce pas avec passion. » Il encourage les aspirants enseignants à tester le terrain avant de s’engager. « Devenir contractuel ou alternant permet de comprendre les réalités du métier. C’est indispensable pour éviter les désillusions. »

Un regard critique sur l’institution

Cinq ministres de l’Éducation nationale en un an : un record qui illustre le chaos au sommet. « On navigue sans capitaine, » déplore Bastien. Les réformes s’accumulent, souvent sans suivi ni cohérence. « On nous promet de nouveaux programmes, mais rien n’est clair. On enseigne dans l’incertitude. »

Malgré tout, Bastien reste optimiste, convaincu de l’importance de son rôle. « Ce métier est une chance, mais il faut le faire pour les bonnes raisons. Sinon, on se brûle les ailes et on perd de vue l’essentiel : les élèves. »

Bastien conclut notre échange avec un sourire, comme pour atténuer le sérieux des sujets abordés. Le dessert terminé, il accepte volontiers un café, symbole d’un moment suspendu, presque rituel, avant de reprendre le cours de la journée.

Il pose délicatement la porcelaine sur la soucoupe, il se redresse légèrement, prêt à partir. « Merci pour cet échange », dit-il avec une sincérité qui ne trompe pas. D’un geste naturel, il ajuste la bandoulière de son sac et se dirige vers la porte.

Au-delà des mots, l’image de cet enseignant passionné, jonglant avec les contradictions d’un métier aussi exigeant qu’essentiel, reste gravée dans mon esprit. Bastien Branchu n’a peut-être pas toutes les réponses, mais il incarne une volonté de transmettre qui, elle, ne vacille pas. Et c’est sans doute cela, la vraie force des éducateurs de demain.

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